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24/01/2012

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature...

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                                        Épilogue

 

Amour en quel état m'as-tu réduit et dou

Ce déchéance qui plus démuni que moi

Par les artifices quel monarque parmi

 

Tes serviteurs plus illustres et d'honneurs comblé

Plus soumis Ô cruel mais que nul ne plaigne

Le pauvre jean sans terre et ne rie de sa

 

Superbe qui m'habite en souveraine dé

Cision quel rêve me fait cortège et gloire

De reposer en ce jardin où je vous prie

 

Que dépouiller l'on me laisse et ne s'avise

Le dieu d'avertir l'oiseau qui porte le vent

Maintenant je veux être seul en dévotion

 

Et mon ravisseur entretenir des affai

Res du monde comme elle va l'herbe le ciel

Aiguiser et mon sang rougir la place où il

 

Me couronne voyez qu'en jalousie il

En meurt le vieux jupin enfin lassé de guer

Royer seul sur son nuage ou peut-être qu'à

 

Me foudroyer il s'emploie attends au

Moins qu'avec la lune s'achève ma course

Laisse amour nous rendre immortels prête

 

Moi l'éclair qui déchire et va dormir comme au

Trefois innocent et léger sinon de voir

Comme en ce jardin l'on joue sous les fougè

 

Res rouillées vers quel marécage

Ouvrent leurs serrures je tairai mes nuits

Tu disais c'est loin la grèce plutôt mourir

 

Que survivre plutôt me perdre et sans larmes

Le rire du dieu qui sommeille alors que

Penché sur la couché j'épie ton rêve et s'il

 

Parle de moi jaloux de n'y être pas les

Poètes disent l'oubli oh on temps sans mé

Moire quelle est ma demeure que vais-je fai

 

Re du temps qu'il me reste à vivre le décor

Est le même les dieux sur la locomoti

Ve trois-mille quarante-quatre les ombres

 

En une lanterne prisonnières ce

Grand rêve de vouloir et de ne plus atten

dre

 

[...]

 

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature suivi d'exemples tirés de la Bible et des Auteurs anciens, Gallimard, "Le Chemin", 1970, p. 23-24.

 

 

27/08/2011

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature...

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     La littérature n’a cessé de se rêver ; elle secrète son mythe. Elle se remet en question en prétendant se donner des institutions idéales : elle codifie, institue. Aujourd’hui, elle voudrait que les lecteurs disent : la littérature c’est nous. Elle complote de renverser l’auteur qui règne en despote sur son œuvre, bastion réputé imprenable. Il n’est que trop vrai que nous fûmes abusés.

Moi, je dis : le cercle est bouclé mais je passe outre. Puisque tout est fini, achevé, alors je puis écrire. Je ne serai plus dévoré de scrupules. C’est moi qui pose le sens.

Je décide de répéter, ostensiblement, volontairement. J’accepte même de plagier. Ainsi je prends la parole, j’usurpe le sens. J’organise un rapt en plein jour. Je fais la chasse au sens tout en le déclarant mien. Ceci est mon cheval de Troie. Je prends tous les masques ; je n’ai pas d’identité propre. Je me dissimule. Je ne crains pas d’être duplice. Si Dieu il y a, il n’est qu’un travesti. Je ne serai plus révolté, mais pratique. Je ne projetterai pas ma parole en une quelconque prophétie. Ma question est : comment prendre le pouvoir en littérature ? Je dis que les mythologies sont usées. La littérature est à elle-même une mythologie qui entrave son propre fonctionnement. Nous avons perdu le bon usage des mythes.[…]. Falsification du mythe la poésie égare, elle dévie le sens, insensiblement. Ô je le sais, la littérature souffre de n’être plus poésie ; elle a mauvaise conscience. Platon là-dessus a dit juste. Les poètes n’ont pas de place dans la cité. Je comprends : tout coup d’état en littérature opèrera une séparation des pouvoirs. La poésie n’est pas philosophie, pas plus que la philosophie n’est poésie. Voilà la salubrité. Aujourd’hui je ne rêverai plus de la « poésie-connaissance ». Je ne ressusciterai pas le poète, comme guide des peuples en péril. La poésie n’est connaissance de rien. Les poètes, littéralement et dans tous les sens, ne savent pas et n’ont pas à savoir ce qu’ils disent. Mais qu’on y prenne garde ! Je ne dirai pas non plus que le poète est un inspiré. J’irai jusqu’à prétendre que le langage, pour lui, ne fait pas problème. Je préfèrerais dire : la poésie est le langage se faisant problème. Aussi bien le tragique de la poésie n’est pas dans la connaissance. Le poète quand il philosophe est ridicule. Le tragique est de l’ordre du poème en ce qu’il est un langage replié sur lui-même et se suffisant à soi seul. Posé là, comme objet. Le poète est un baroque parce qu’il dit la liberté du désordre. Il nous fait rêver à des lieux débauchés. Et puis laissons là la poésie. Je lui donne son congé. La littérature est mensonge. J’ai horreur de la vérité.

Je ferai comme si. Je considèrerai la littérature comme jeu. Je n’ai pas à distinguer entre ne pas dire ce qui est vrai et dire ce qui est faux, comme ce bon Jean-Jacques. Il n’y a pas de vérité. Les sens d’un discours sont autant de masques. Supposer qu’on puisse les ôter tous n’a pas d’intérêt ; hors le masque il n’y a rien.

 

Jean Ristat, Du coup d’état en littérature suivi d’exemples tirés de la Bible et des Auteurs anciens, collection Le Chemin, Gallimard, 1970, p. 56-57.

 

18/05/2011

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

 

jean ristat,le théâtre du ciel,rimbaud,rouge

 

     Ce livre de poèmes de Jean Ristat est un livre singulier : il est construit en partant des deux premiers vers du sonnet des voyelles de Rimbaud, cités en exergue (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes), alternant pour chaque voyelle des transformations autour de sa forme (Entrées) et des variations qui incluent la couleur (Scènes, parties divisées en tableaux). Un intermède rompt cet ordonnancement, consacré à une récriture en vers du Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Dans cet ensemble s’entrelacent des motifs que reconnaîtront les lecteurs de Ristat.

     L’intermède, qui désigne une représentation entre les actes d’une pièce de théâtre, met ici en scène Otto Lidenbrock et son neveu le jeune Axel, tous deux sortis du livre de Jules Verne, et un récitant. Les personnages sont accompagnés dans leur étrange parcours, qui les conduit à traverser « le miroir / De l’espace et du temps par quoi toute chose se / Multiplie à l’infini en se répétant » ; cet endroit du poème (il en est d'autres) donne une image du livre entier : il est écrit en partie en intégrant divers matériaux, non pas repris tels quels mais "bougés". Le livre est ainsi comme « la machinerie du ciel » où se font, se défont et se recomposent sans cesse des figures nouvelles. C’est bien là un théâtre : « Dans les fossés du ciel [...] toutes les couleurs / s’échangent ».

    Ce ciel sans cesse changeant (« Le ciel en bâillant laisse passer la lune entre / Ses babines blêmes ») est présent dans tout le livre, fil à suivre comme le sont les divers fragments issus de la mémoire, du « loup bleu de la mémoire ». Ainsi le souvenir de la grand-mère, celui de l’adolescent « lisant dans la cabane / Au fond du jardin ». Aux bribes du passé se mêlent, extraits aussi des « Forêts de la mémoire » : des lambeaux des œuvres lues, modifiés (« Il n’aurait fallu qu’un moment de plus » — Aragon, Le Roman inachevé — devient « Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être »), ou des motifs de la grande tradition lyrique, du XVIe siècle (« Un jour viendra où mes vers seront ta couronne ») au romantisme, ici représenté par Chateaubriand (« Levez-vous, orages désirés » changé en « levez-vous vents désirés »). S’ajoutent certaines figures de la mythologie, si vivantes chez Ristat (1) : interviennent le plus souvent les personnages nés « au milieu de l’archipel de mythologique mémoire », Icare, Dionysos, Adonis, Médée, etc., à côté de « la mère isis au sexe de mygale » et de saint Sébastien.

  jean ristat,le théâtre du ciel,rimbaud,rougeDans le complexe, et presque toujours très allusif, entrelacement des références, dominent les éléments liés à Rimbaud : sa vie (« À marseille sur ton lit d’hôpital », des mots de ses poèmes (« bave », qui rappelle « Mon triste cœur bave à la poupe »), avec des transformations (« l’enfer n’a pas de saison ») sans oublier une évocation rapide de l’énigmatique Hortense. Le personnage de Verlaine-Lélian est aussi convoqué et, de là, est installé le motif de l’homosexualité dès les premières pages :

Le poète porte un chapeau gris perle et boit

Goulûment du rhum dans la cale avec un jeune

Malfrat qui le consolera de vivre encore

     C’est bien à partir de Rimbaud, lu et relu, qu’est organisé ce théâtre, labyrinthe et, aussi, ensemble de scènes emboîtées les unes dans les autres. Les Entrées forment une broderie évoquant les images des anciens abécédaires : l’A girafe, l’ « E trident de Neptune », « L’U fer à cheval », l’ « O ogre / Bouche ouverte », etc. La lettre, donc, dessine une figure et, parallèlement, les sons font le sens comme, par exemple, dans « O la camarde ma camarade » ou dans ces quatre vers anagrammatiques :

Ici le rital en ristat s’attriste à

La moquerie et ferraille comme un rasta

Tatoué tâte enfin rassis après la rixe

Un alexandrin circonflexe aux pieds tors

     Pieds, ou plutôt syllabes torses, des alexandrins : ici et là on compte 11 ou 13 syllabes.

    Chacune des Entrées tisse un récit qui se poursuit dans les Scènes : il se déroule alors en intégrant les couleurs des voyelles. Ainsi, le rouge du I est appelé dans la suite des scènes par : s’empourprent, couleur de sang, lèvres fardées, pieds rouges, boues rouges, pourpres tentures, rubis, incendie, peau cramoisie, bonnet rouge, Titien, feu. On arrête là cette description d’un théâtre où la scène laisse découvrir les coulisses — elles s'ouvrent alors sur une nouvelle scène —, où l’on traverse le miroir pour réapprendre, comme l’écrivait Rimbaud cité par Ristat, « la vie d’aventures qui existent dans les livres d’enfants ».

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009.



1 Rappelons notamment le titre de son précédent livre, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup.

Une autre version de ce compte rendu a paru dans Poezibao le 24 avril 2009.

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

 

jean ristat,le théâtre du ciel,rimbaud,rouge

 

     Ce livre de poèmes de Jean Ristat est un livre singulier : il est construit en partant des deux premiers vers du sonnet des voyelles de Rimbaud, cités en exergue (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes), alternant pour chaque voyelle des transformations autour de sa forme (Entrées) et des variations qui incluent la couleur (Scènes, parties divisées en tableaux). Un intermède rompt cet ordonnancement, consacré à une récriture en vers du Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Dans cet ensemble s’entrelacent des motifs que reconnaîtront les lecteurs de Ristat.

     L’intermède, qui désigne une représentation entre les actes d’une pièce de théâtre, met ici en scène Otto Lidenbrock et son neveu le jeune Axel, tous deux sortis du livre de Jules Verne, et un récitant. Les personnages sont accompagnés dans leur étrange parcours, qui les conduit à traverser « le miroir / De l’espace et du temps par quoi toute chose se / Multiplie à l’infini en se répétant » ; cet endroit du poème (il en est d'autres) donne une image du livre entier : il est écrit en partie en intégrant divers matériaux, non pas repris tels quels mais "bougés". Le livre est ainsi comme « la machinerie du ciel » où se font, se défont et se recomposent sans cesse des figures nouvelles. C’est bien là un théâtre : « Dans les fossés du ciel [...] toutes les couleurs / s’échangent ».

    Ce ciel sans cesse changeant (« Le ciel en bâillant laisse passer la lune entre / Ses babines blêmes ») est présent dans tout le livre, fil à suivre comme le sont les divers fragments issus de la mémoire, du « loup bleu de la mémoire ». Ainsi le souvenir de la grand-mère, celui de l’adolescent « lisant dans la cabane / Au fond du jardin ». Aux bribes du passé se mêlent, extraits aussi des « Forêts de la mémoire » : des lambeaux des œuvres lues, modifiés (« Il n’aurait fallu qu’un moment de plus » — Aragon, Le Roman inachevé — devient « Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être »), ou des motifs de la grande tradition lyrique, du XVIe siècle (« Un jour viendra où mes vers seront ta couronne ») au romantisme, ici représenté par Chateaubriand (« Levez-vous, orages désirés » changé en « levez-vous vents désirés »). S’ajoutent certaines figures de la mythologie, si vivantes chez Ristat (1) : interviennent le plus souvent les personnages nés « au milieu de l’archipel de mythologique mémoire », Icare, Dionysos, Adonis, Médée, etc., à côté de « la mère isis au sexe de mygale » et de saint Sébastien.

  jean ristat,le théâtre du ciel,rimbaud,rougeDans le complexe, et presque toujours très allusif, entrelacement des références, dominent les éléments liés à Rimbaud : sa vie (« À marseille sur ton lit d’hôpital », des mots de ses poèmes (« bave », qui rappelle « Mon triste cœur bave à la poupe »), avec des transformations (« l’enfer n’a pas de saison ») sans oublier une évocation rapide de l’énigmatique Hortense. Le personnage de Verlaine-Lélian est aussi convoqué et, de là, est installé le motif de l’homosexualité dès les premières pages :

Le poète porte un chapeau gris perle et boit

Goulûment du rhum dans la cale avec un jeune

Malfrat qui le consolera de vivre encore

     C’est bien à partir de Rimbaud, lu et relu, qu’est organisé ce théâtre, labyrinthe et, aussi, ensemble de scènes emboîtées les unes dans les autres. Les Entrées forment une broderie évoquant les images des anciens abécédaires : l’A girafe, l’ « E trident de Neptune », « L’U fer à cheval », l’ « O ogre / Bouche ouverte », etc. La lettre, donc, dessine une figure et, parallèlement, les sons font le sens comme, par exemple, dans « O la camarde ma camarade » ou dans ces quatre vers anagrammatiques :

Ici le rital en ristat s’attriste à

La moquerie et ferraille comme un rasta

Tatoué tâte enfin rassis après la rixe

Un alexandrin circonflexe aux pieds tors

     Pieds, ou plutôt syllabes torses, des alexandrins : ici et là on compte 11 ou 13 syllabes.

    Chacune des Entrées tisse un récit qui se poursuit dans les Scènes : il se déroule alors en intégrant les couleurs des voyelles. Ainsi, le rouge du I est appelé dans la suite des scènes par : s’empourprent, couleur de sang, lèvres fardées, pieds rouges, boues rouges, pourpres tentures, rubis, incendie, peau cramoisie, bonnet rouge, Titien, feu. On arrête là cette description d’un théâtre où la scène laisse découvrir les coulisses — elles s'ouvrent alors sur une nouvelle scène —, où l’on traverse le miroir pour réapprendre, comme l’écrivait Rimbaud cité par Ristat, « la vie d’aventures qui existent dans les livres d’enfants ».

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009.



1 Rappelons notamment le titre de son précédent livre, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup.

Une autre version de ce compte rendu a paru dans Poezibao le 24 avril 2009.

19/04/2011

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

 

                                      E blanc

                                      Scène 1

 

La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches

Patauger dans la nuit appelle-t-on cela

Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère

Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert

De pleurer au temps des souvenirs la partie

Est déjà perdue tu n’avais pas su le

Retenir il courait plus vite que le vent

Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie

Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre

Dolente et non le chapelet à l’angélus

 

Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive

Toujours quad le clocher sonne douze au clair de

Lune le christ O vieille démangeaison

Pauvre lélian habité par un fantôme à

La jambe de bois l’autre en toi O moulin à

Prières

 

                                           Scène 2

 

Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard

À demi enseveli dans la neige quelle

Porte par où t’enfuir encore et toujours

O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par

Les mouches du rêve et que l’éclair divise à

Jamais hagard comme le faucon

 

                                           Scène 3

 

Elle venait sans que j’y prenne garde à pas

De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu

À battre la chamade je ne l’avais pas

Reconnue tant son visage était pâle et

Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit

Ses regards enjôleurs me grisaient doucement

O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut

Me prendre par surprise au petit matin calme

 

J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta

Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon

Sang O la camarde ma camarade attends

Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer

Pour lui les mots du nouvel amour

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009, p. 39-41.